Samedi 5 Octobre.
4h20. Le réveil sonne mais cela fait déjà 20 minutes au moins que nous sommes réveillés. Sans doute par peur de rater l’heure ou à cause de l’excitation de la journée qui nous attend…Après une toilette de chat, nous enfilons notre équipement d’hiver, auquel nous n’avions pas touché depuis un moment : chaussettes en laine, chaufferettes, collant chaud, cache-nez, gants et bonnet. JC finit de préparer son matériel photo puis, nous quittons la chambre. Nous traversons le couloir de l’Auberge du Trappeur à pas de loup, pour ne pas réveiller nos voisins.
Il est presque 5 heures. Dehors, notre guide nous accueille avec une tasse de café bien chaud, tandis que juste à côté, le chauffage et le moteur du mini-bus tournent à plein régime. Les autres membres du groupe sont déjà là : deux français et une belge, en vacances au Canada pour 2 à 3 semaines. Il fait 1°C seulement, alors chacun dodeline sur place pour se réchauffer comme il peut. Certes, il fait froid mais la beauté de la voûte céleste et des étoiles laissent présager qu’il va faire beau aujourd’hui. Le dernier couple censé se joindre au groupe ne semble pas décidé à arriver. La jeune guide décide de prendre la route malgré tout car Dame Nature n’attend pas.
Une heure plus tard, nous voici au Lac-Du-Fou, en plein cœur du Parc National de la Mauricie, à mi-chemin entre Montréal et Québec. Tout le monde descend du mini-bus. Le dernier couple que nous attendions plus tôt est finalement venu par ses propres moyens. L’équipe est donc au complet, prête à écouter attentivement les consignes.
Notre guide a choisi ce lac en particulier car il est très peu fréquenté par l’homme, ce qui en fait un lieu privilégié pour traquer notre cible : l’Orignal. Rassurez-vous car il n’est pas question d’une chasse au fusil ici. Nous serons seulement des chasseurs d’images aujourd’hui, avec des appareils photos, des caméras et des jumelles pour seules armes. Nous voilà donc parés pour un safari à l’orignal, expérience qui vous évoquera sans doute les excursions proposant de vivre le brame du cerf en Europe, à cette période de l’année.
L’Orignal ou élan d’Amérique du Nord, est un animal fascinant mais difficile à observer. Nous en avions déjà parlé dans nos précédents articles sur le Parc Oméga ou le zoo de Saint-Félicien. Notre guide nous explique que les orignaux viennent au bord de ce lac tranquille pour s’abreuver et se nourrir. Ils sont très friands d’une plante aquatique, qui ressemble à un petit nénuphar. On a plus de chance de les voir en été, car c’est la période pendant laquelle ils se nourrissent le plus, afin de cumuler un maximum de graisses avant l’hiver. A l’automne, les chances de les voir sont moindres, car ils sont occupés par la mise en oeuvre de leurs plans de séduction pendant le rut.
Les orignaux ont l’ouïe fine et sont plutôt craintifs vis-à-vis de l’homme. Aussi, notre guide nous demande de rester le plus silencieux possible durant toute l’excursion, afin de ne pas effrayer ou déranger les orignaux que nous serions susceptibles de voir. Le silence appelant généralement à l’introspection, c’est donc un safari contemplatif et méditatif qui nous attend! En revanche, en termes d’acuité visuelle, les orignaux sont myopes comme des taupes. Nul besoin de se cacher au passage d’un orignal; il suffira juste de rester immobile (et silencieux) pour ne pas se faire repérer.
Dernier détail à régler avant de partir, et non des moindres : décharger les canots que le mini-bus a traîné jusqu’ici! En effet, c’est exclusivement à bord de cette embarcation que nous réaliserons ce safari.
C’est donc en silence que nous mettons tour à tour nos canots à l’eau. Notre guide passe devant et nous fera signe lorsqu’elle identifiera un point d’intérêt. En quelques minutes à peine, nous assistons au lever du soleil au-dessus du lac. La lumière du jour révèle peu à peu la couleur automnale de la forêt environnante. Un épais brouillard flotte au-dessus de l’eau, créant ainsi une atmosphère mystérieuse. Le silence et la beauté des lieux sont saisissants. On n’entend que le chant camouflé des oiseaux et le bruissement des feuilles. Nous prenons alors conscience de la magie du moment.
Nous commençons à ramer, le plus discrètement possible. Nous allons devoir communiquer entre nous sans un mot ou presque. C’est JC qui dirige le canot, à l’arrière mais il doit de temps en temps arrêter de ramer pour prendre des photos ou filmer. Je tends alors l’oreille et dès que je l’entends poser délicatement sa pagaie, je sais que je dois prendre le relais pour nous diriger.
Le Lac-Du-Fou est très tranquille. Notre seule difficulté consiste à passer un barrage de castors où nous resterons tous coincés quelques instants, l’eau étant peu profonde à cet endroit. Les canards et les oies sauvages sont aussi matinaux que nous. Notre guide nous révélera plus tard que les canards ne font pas bon ménage avec les castors (les derniers ayant tendance à attaquer les premiers). Si les canards sont de sortie ce matin, c’est probablement parce que les castors sont encore au lit! Un peu plus loin devant nous, un kayakiste est lui aussi à l’affût du moindre mouvement au bord de l’eau, qui signalerait la présence d’un animal. C’est le seul être humain que nous verrons pendant la balade, à l’exception d’un autre couple croisé plus tard en canot.
Nous faisons un arrêt au niveau d’une anse du lac, toujours dans le plus grand silence. Notre guide pointe du doigt une direction puis commence à mimer quelque chose : elle lève les bras en triangle au-dessus de sa tête, nous montre ses dents puis fait mine de se ronger les doigts. Elle répète ces mouvements en boucle jusqu’à ce que toute l’équipe lui signifie avoir compris ce qu’elle essaye de nous montrer, en lui renvoyant un pouce levé vers le haut. Alors, avez-vous deviné de quoi il s’agit? Une maison de castors!
Nous profitons de cet arrêt pour scruter minutieusement les lieux. Va-t-on enfin voir un orignal s’approcher du bord de l’eau? Tous nos sens sont en éveil. La beauté du paysage est époustouflante, le froid et l’humidité pèsent sur nos épaules, des parfums de résine et d’humus flottent dans l’air et des petits bruits d’animaux s’échappent des sous-bois: des petits cris, des grognements ou encore des sifflements. Il y a sans aucun doute des écureuils qui chahutent dans le coin mais l’expression faciale affichée par notre guide laisse penser qu’il se trame également quelque chose chez les orignaux. Ces quelques instants pendant lesquels nous restons immobiles et silencieux nous élèvent à un sentiment de sérénité et de bien-être qui nous prend presque par surprise.
Il est temps de faire demi-tour pour rejoindre tranquillement le ponton d’embarcation. Finalement, malgré ces deux bonnes heures passées sur l’eau, l’épaisse forêt au bord du lac ne nous a pas dévoilé l’entièreté de son spectacle et nous n’avons pas vu d’orignal. Pourtant, nous n’avons aucun regret. Bien sûr, si nous avions vu un petit orignal pointer le bout de son museau, cela aurait encore plus magique mais Dame Nature en avait décidé autrement. Cela ajoute un caractère authentique à l’expérience que nous avons vécue.
Notre guide nous reconduit à l’Auberge du Trappeur. A l’intérieur du mini-bus, malgré le froid et la fatigue, nous avons tous le sourire aux lèvres. Après ce long moment à ne pas parler, les langues commencent à se délier mais on chuchote encore. Je pique un peu du nez tandis que JC s’endort sur mon épaule. En arrivant à l’auberge, un petit déjeuner copieux nous attend. Nous le partagerons tous ensemble à la même table, afin de vivre la fin cette aventure de chasseurs d’images d’un jour dans la convivialité.