C’est le temps des sucres!


Gastronomie & cie, La vie icitte / lundi, avril 15th, 2019

Ça y est, c’est officiellement le printemps. Toutefois, à en croire le mercure, qui exhibe effrontément des températures encore bien en dessous de 0°C, c’est plutôt le deuxième hiver qui commence. Mais non, courage! D’ici quelques semaines, tuques et mitaines se retrouveront au chômage technique.

Que la neige tombe ou fonde en abondance, cette période de la mi-mars est particulièrement appréciée ici car elle marque le retour à la vie après un hiver rude et interminable. Et pour sortir de cette longue phase d’hibernation et faire le plein d’énergie, les Canadiens ont une technique imparable : ils vont en forêt, se sucrer le bec dans une cabane à sucre!

Vous voulez en savoir plus? Alors enfilez votre chemise à carreaux et un pantalon confortable car on vous emmène avec nous à la Cabane à Sucre Handfield, située à moins d’une heure de Montréal. Mais avant cela, je vous propose un cours accéléré sur le fonctionnement d’une cabane à sucre (attention, ça reste très approximatif). Si vous avez trop faim, passez ces quelques lignes et reprenez votre lecture à Saint-Marc sur Richelieu.

La cabane à sucre, c’est tout simplement l’endroit où l’on fabrique le sirop d’érable. Normalement, la cabane à sucre est située au sein d’une érablière (une exploitation forestière composée d’érables à sucre, rouges et/ou noirs), ce qui assure une production du sirop d’érable directement sur place. Je précise « normalement », car le concept de cabane à sucre ayant évolué, on en trouve maintenant en ville, mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici. Avec l’arrivée du printemps, lorsque les conditions météos sont idéales (températures négatives la nuit et légèrement positives en journée), la circulation de la sève le long des arbres est réenclenchée. C’est le temps des sucres qui commence. Le producteur de sirop d’érable, ou acériculteur, va alors entailler le tronc des érables de son exploitation et y planter un chalumeau (un petit tuyau) par lequel la sève d’érable va s’écouler goutte à goutte.

Au début, cette sève est encore assez pauvre car composée essentiellement d’eau et de 2 à 3% de sucre. On parle alors d’eau d’érable. La sève s’enrichira en nutriments au fur et à mesure de la saison, ce qui donnera un sirop d’érable ambré, au goût plus prononcé. L’eau d’érable est recueillie dans un seau, accroché au chalumeau et recouvert d’un couvercle pour éviter les intrusions d’insectes et les chutes d’écorces ou de feuilles. L’eau s’écoule plus ou moins abondamment selon les conditions environnementales : jusqu’à deux seaux par jour! Quand l’acériculteur vient faire sa collecte, il verse le contenu des seaux dans un grand réservoir qu’il déplace à travers l’érablière à l’aide d’un traîneau ou d’un chariot, tiré à l’origine par des chevaux. L’eau d’érable est ensuite déversée dans un évaporateur installé dans la cabane à sucre, traditionnellement chauffé au bois.

Le liquide, ainsi porté à ébullition, va se concentrer par évaporation et donner naissance au sirop d’érable. La température doit être parfaitement maîtrisée car si le sirop est trop chauffé, il va cristalliser alors qu’à l’inverse, il risque de fermenter s’il ne bout pas assez. Bien entendu, de nos jours, les exploitations et les méthodes de fabrication se sont modernisées. Par exemple, les tuyaux et seaux ont étés remplacés par des systèmes de tubulures reliant tous les érables entre eux et permettant de conduire l’eau d’érable directement à la cabane, par gravité ou par pompage. Les chevaux ont été remplacés par des tracteurs et le chauffage au bois par des installations électriques. Ceci dit, beaucoup de producteurs travaillent encore selon les méthodes traditionnelles des premières cabanes à sucre, apparues au XIXe siècle.

A l’origine, les cabanes à sucre étaient des installations rudimentaires, artisanales et familiales. Avec le temps, des cabanes dites commerciales ont fait leur apparition et ont ouvert leurs portes au grand public. En général, on y fabrique toujours du sirop d’érable, mais on y sert aussi des mets traditionnels, agrémentés de sirop d’érable. La cabane à sucre, c’est donc l’endroit par excellence où familles et amis se retrouvent pour fêter l’arrivée du printemps, dans une ambiance rustique, chaleureuse et folklorique!

Saint-Marc sur Richelieu, Samedi 23 Mars, 12h30.

Nous arrivons dans l’érablière de la Cabane à Sucre Handfield. Les températures sont encore glaciales mais le temps est magnifique. La neige, toujours bien présente, donne tout son charme aux lieux. La cabane est une jolie auberge en bois aux huisseries rouges. Derrière les fenêtres de la bâtisse, on devine les rideaux à carreaux rouges. En entrant, nous sommes accueillis avec convivialité par le son de l’accordéon et l’odeur du sirop d’érable. Nous nous présentons au comptoir et nous commençons par payer notre repas, pourboire inclus. Étrange, mais pourquoi pas, puisque le menu est le même pour tout le monde!

Notre table n’est pas encore prête alors pour patienter, nous nous asseyons près de l’évaporateur pour observer le sucrier à l’ouvrage. Il est en train de faire chauffer du sirop d’érable à gros bouillons dans une cuve. Ce sirop épaissi sera destiné à la tire d’érable, servie à l’extérieur. La production du sirop d’érable en lui-même n’est pas réalisée en pleine journée, car la chaleur dégagée par les machines serait insoutenable pour la clientèle et le personnel. L’espace de restauration se compose deux grandes salles destinées aux groupes et aux familles, avec de longues tables et des bancs en bois ; et d’une salle centrale reliant les deux autres, aménagée avec des petites tables rondes. C’est là qu’on nous installe.

Autour de nous, la décoration est rustique mais chaleureuse. Tout comme les rideaux, les nappes exhibent de gros carreaux rouges et blancs. Un piano est laissé à la disposition des clients et un petit coin salon permet de se détendre après le repas, avec des fauteuils bien douillets et une chaise à bascule.

Notre serveuse se présente et nous explique le déroulement du repas. Les différents plats vont être servis au centre de la table et nous n’aurons plus qu’à nous servir, comme à la maison. Le menu est composé de mets traditionnels, faits maison (pain, viandes, condiments etc.). Tout est servi à volonté donc il ne faut pas hésiter à en redemander. J’ai toutefois l’intuition qu’on n’aura pas à en arriver là. La serveuse nous propose une version vegan du menu mais comme c’est notre première cabane à sucre, nous restons sur le menu classique, pour une expérience authentique et traditionnelle!

Sur la table, il y a déjà toute la vaisselle nécessaire pour l’ensemble du repas : une petite pile d’assiettes, un pot à couverts, des tasses à café etc. Il y a aussi du pain de ménage (pain d’autrefois), du beurre, des cornichons, des betteraves marinées, du ketchup de fruits et une salade de chou, servis dans des bocaux en verre. Une belle tranche de creton aux épices (charcuterie traditionnelle comparable aux rillettes) se cache entre deux assiettes creuses. Il n’y a plus qu’à!

Pour commencer, la serveuse nous apporte une grande soupière, avec la soupe aux pois de Grand-Mère. Ce plat simplement bon et réconfortant nous ouvre l’appétit. Nous sommes prêts à découvrir la suite. C’est alors que les oreilles de crisse font leur apparition. Attention, emblème national en vue! Les Québécois en sont fous! Ils en mangent surtout pendant le temps des sucres, mais aussi pendant le carnaval ou les fêtes de fin d’année. Sur place, elles sont même servies à volonté au comptoir du bar, comme des cacahuètes! Avant de goûter, nous vérifions discrètement la recette sur Internet : du lard salé, frit dans un bain d’huile et servi comme des croustilles (= des chips). Dans un mouvement de perplexité, nous goûtons tous les deux. Jc hoche la tête poliment, se demandant ce que les gens peuvent bien trouver à cette spécialité tandis que j’attrape ma serviette pour tout recracher. Beurk! Oui, je sais, je ne suis pas sortable mais vous mangeriez de la couenne à l’apéro, vous?

Place au plat principal : une belle omelette faite au moment, des saucisses de porc, du jambon à l’os fumé, un ragoût de boulettes de bœuf et des pommes de terre. En accompagnement, des fèves à l’ancienne, servies dans une jarre en grès. Jc valide la qualité des différentes viandes (cette fois-ci, je ne me force pas à goûter). Le jambon fond dans la bouche comme du beurre. Le sirop d’érable parfume subtilement les différentes préparations sans pour autant prédominer. L’omelette est moelleuse à souhait et se marie très bien avec le ketchup de fruits. En signe d’approbation, nous finissons nos assiettes en les sauçant avec du pain (pas sortables, je vous dis!). Evidemment, nous avons suffisamment de restes pour nourrir un régiment. Nous imitons donc les autres clients en demandant une boite pour emporter les restes.

Ça va? Vous suivez toujours? Alors maintenant, on relâche un peu sa ceinture pour accueillir les desserts à partager : tarte au sucre d’antan, beignet cuit dans le sirop d’érable, gâteau aux fruits et sa sauce caramel et des crêpes. Pour arroser le tout, enfin, surtout les crêpes, on nous propose un pichet de sirop d’érable tout frais, fabriqué à peine deux jours plus tôt! Mayday, Mayday, notre pancréas nous lance une alerte à l’hyperglycémie. Toutefois, qu’il se rassure. Bien que l’assiette soit généreuse, les différents desserts sont servis en mini-portions.

J’espère qu’il vous reste encore un peu de place car un repas à la cabane à sucre n’est pas fini tant que vous n’avez pas eu votre tire d’érable ou tire sur la neige. C’est une la tradition incontournable! Rhabillez-vous, car c’est à l’extérieur que ça se passe. Près de l’entrée de la cabane, nous allons à la rencontre du sucrier. Celui-ci a préalablement fait chauffer du sirop d’érable à plus de 100°C pour le faire épaissir. Il dépose la tire ainsi obtenue sur de la neige fraîche et tassée, contenue dans une auge dédiée. A l’aide d’un bâtonnet en bois, nous saisissons le sirop et nous l’enroulons tout autour du bâton pour former un bonbon mou. Ensuite, nous ouvrons grand la bouche et…MIAM MIAM MIAM! C’est un mélange chaud/froid agréablement surprenant, où les cristaux de neige contrastent délicatement avec le fondant du sirop. Cette fois-ci, nous comprenons aisément pourquoi les Québécois sont fous de cette tradition!

Pour digérer, nous sommes invités à nous promener dans l’érablière, à bord d’une carriole tirée par des chevaux ou par un tracteur. Nous préférons compter sur nos jambes pour nous dégourdir. L’exploitation utilise les deux systèmes de récolte de l’eau d’érable : la méthode traditionnelle, avec les seaux accrochés aux arbres, et la méthode plus moderne, avec les tubulures. Trop curieux, nous soulevons le couvercle d’un seau pour voir l’eau d’érable s’écouler hors de l’arbre. Quel spectacle étonnant! Et dire qu’il faut 40 litres d’eau d’érable pour produit 1 litre de sirop ! Si vous n’étiez pas déjà repus par ce repas à la cabane à sucre, je vous aurais dit « Ça vous en bouche un coin, non? ». Allez, bonne digestion!

Une réponse à « C’est le temps des sucres! »

  1. Il ne manquait plus que l’odeur du sirop d’érable que j’adore…Merci à vous pour ce récit!

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