Go Habs Go!


Culture, La vie icitte / vendredi, février 22nd, 2019

Si nous étions rentrés en France sans avoir vu un seul match de hockey au Canada, je crois bien que les agents de la douane nous auraient renvoyés illico presto vers Montréal pour réparer cet affront.

Pour éviter ce genre de désagréments, et sur les bons conseils d’un ami (merci Seb!), nous réservons donc nos places pour un match de hockey sur glace début février. Au programme, les Canadiens de Montréal reçoivent les Mapple Leafs de Toronto. Pour saisir le niveau de rivalité entre les deux équipes, imaginez un match entre l’OM et le PSG et vous comprendrez!

Le match commence à 19h mais le Centre Bell ouvre ses portes dès 17h. C’est donc l’occasion pour nous de nous imprégner de l’ambiance d’avant-match. Tout commence déjà dans le métro, où nous croisons des fans des deux équipes, qui arborent fièrement les maillots ou casquettes aux couleurs de leurs idoles: rouge pour les Canadiens et bleu pour les Maple Leafs. En sortant du métro, nous n’avons même pas besoin de chercher notre chemin vers la patinoire: il nous suffit de suivre à la trace le flot de supporters ou partisans, comme on dit ici, jusqu’à notre destination.

Une fois sur place, nous nous fondons dans la masse. Dans les couloirs qui encerclent la patinoire sur plusieurs étages, on ne peut pas faire deux pas sans tomber sur une boutique officielle, un stand de bouffe réconfortante (pizza, bretzel, nachos, pop-corn, poutine etc.) ou un vendeur de tickets pour la grande loterie. Aux comptoirs des bars, l’élégance des serveurs en costume et nœud papillon rouge, tranche avec l’allure un peu balourde ou sportive des clients. Face aux portraits des grands joueurs qui ont fait l’histoire du hockey, des papas passionnés transmettent leur savoir à leurs petits garçons. Ces derniers les écoutent pourtant d’une oreille distraite, plus motivés à l’idée d’aller saluer Youppi, la mascotte orange des Canadiens. Les fans des équipes opposées se croisent et se provoquent gentiment, le tout dans une ambiance générale bon enfant.

18h30. Nous rejoignons nos sièges. Bien que nous soyons placés dans l’une des dernières catégories, nous voyons plutôt bien. De toute façon, pour être mieux placés, il aurait fallu vendre un deuxième rein, ce qui n’était pas envisageable! Alors que le match commence dans moins d’une demi-heure, les gradins sont à peine remplis. Au-dessus de la patinoire, des écrans géants diffusent de la publicité ou des vidéos en l’honneur des joueurs de l’équipe de Montréal, ce qui nous permet de découvrir leur visage et leur cote de popularité. En revanche, aucune image n’est dédiée à l’équipe concurrente!

Sans aucune annonce, les joueurs des deux équipes arrivent sur le terrain pour s’échauffer. Une cinquantaine de palets (rondelles ou pucks) a été disposée sur la patinoire à cet effet. Place aux tirs d’échauffement, aux étirements, aux génuflexions et autres exercices étranges impliquant de se mettre à quatre pattes au-dessus de la glace pour préparer les corps au combat. Fin de l’échauffement. Les joueurs disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus, tandis que les ramasseurs de palets, surfaceurs en patins et zambonis (ces grosses machines qui lissent sur la glace) les remplacent pour redonner à la patinoire un aspect impeccable. Sur le côté, des hommes en cravate ramassent à la pelle la glace rapportée par les surfaceurs. Tous les palets utilisés pendant l’échauffement seront mis en vente auprès du public dès la fin de la première période de jeu.

A quelques minutes du coup d’envoi, le stade est cette fois plein à craquer. Pour patienter encore un peu, des véhicules semblables à des voiturettes de golf tournent en rond sur la patinoire avec des sbires postés à l’intérieur, munis de fusils à canon. Ces derniers tirent non pas des balles mais des T-shirts publicitaires roulés en boule en direction du public. C’est presque l’heure. Les joueurs des deux équipes entrent officiellement en scène. Avec leurs patins, les gardiens de but s’empressent de racler toute la glace autour de la cage, afin de se créer des appuis. C’est ensuite l’heure de l’hymne canadien. Dans les gradins, tout le monde se lève pour écouter l’hymne officiel chanté par une célébrité dont la présence n’a pas l’air de produire plus d’effet que ça auprès du public. En moins de deux minutes, c’est plié. Il me faut quelques secondes pour réaliser que le match vient juste de commencer. Ça y est, on joue pour de vrai? Je ne me suis aperçue de rien et je suis même obligée de vérifier à plusieurs reprises que le chronomètre de 20 minutes affiché sur l’écran géant a bien entamé son décompte ! Pourtant, les équipes ne se sont pas saluées et les joueurs des Maple Leafs n’ont même pas été présentés avant le coup d’envoi. L’action monte très vite en intensité. Les premiers coups de crosse retentissent dans l’arène. Les joueurs s’arrachent le palet comme s’ils se disputaient un morceau de steak avec des fourchettes géantes, après une semaine de jeûne. Les hockeyeurs se déplacent sur la glace avec une telle agilité qu’on croirait qu’ils sont nés avec des patins vissés aux pieds. De leur côté, les arbitres n’ont rien à leur envier et font preuve eux aussi d’une grande dextérité, surtout lorsqu’il s’agit d’éviter d’entraver la trajectoire du palet. A l’approche des buts, tels des kamikazes, les attaquants ne craignent pas de s’écraser contre la paroi de plexiglas qui entoure la patinoire. Parfois, c’est leur propre élan qui les met dans cette situation, parfois, c’est un joueur de l’équipe adverse qui les plaque…En fond sonore, la musique est lancée à plein volume dès que le match est interrompu mais elle est stoppée nette dès que le jeu reprend, à la manière d’un jeu de chaises musicales inversé.

Fin de la première période de jeu. Les Maple Leafs mènent 2 points à 1 mais rien n’est encore joué. Pendant la pause, place au jeu avec le public. C’est l’heure de la Kiss-Cam. Lorsque la caméra pointe vers un couple, celui-ci doit s’embrasser. Les amoureux les plus démonstratifs remportent un prix. On enchaîne avec la Muscles-Cam où cette fois-ci, il faut montrer ses pecs ou ses abdos pour gagner un lot. C’est aussi le moment idéal pour aller se chercher une pointe de pizza ou un verre de bière.

Reprise du match, avec le début de la deuxième période (encore une fois, l’air de rien). Ça commence à cogner dur. Une première crosse se brise pendant le jeu. Nous avons à peine le temps de nous en rendre compte que la crosse est déjà remplacée. Dans un coin, deux adversaires commencent à se titiller mais les arbitres les séparent avant qu’ils n’en viennent aux mains. Il est vrai que le hockey n’est pas connu pour être un sport de tendres. Le match se joue aussi dans les gradins. Les supporters des Canadiens scandent « Go Habs Go! » (Allez les Habs! en référence au surnom des Canadiens, à savoir « Habs » pour « Habitants ») tandis que leurs rivales tentent de couvrir leurs cris par des « Go Leaves Go!« . Il existe plusieurs théories expliquant l’origine du surnom des Canadiens. L’une d’entre elles indique que c’était initialement un surnom péjoratif donné par les hockeyeurs anglophones aux premiers joueurs francophones, qui venaient généralement de classe économique inférieure (les habitants désignant à l’origine des paysans). Selon cette même théorie, encourager les joueurs de Montréal en criant Go Habs Go reviendrait donc à les soutenir tout en les traitant de péquenauds mangeurs de soupe de pois!

Fin de la deuxième période : les Canadiens ont égalisé le score. On est à 2 points partout. La troisième période s’annonce tendue. Pendant la pause, jeux, tireurs de T-shirts et surfaceurs sont de retour. Un ballon dirigeable passe au-dessus de la tête des spectateurs et larguent par intermittence des bons-cadeaux. C’est aussi l’heure du tirage au sort de la grande loterie, qui s’élève ce soir à plus de 120 000$. Le gagnant remporte la moitié du butin tandis que l’autre moitié sera versée à des associations caritatives.

Début de la troisième période. Après quelques minutes, les Canadiens marquent un troisième but, ce qui permet à leurs supporters de souffler un peu. Leur répit n’est que de courte durée puisque les Maple Leafs marquent très vite à leur tour. Trois partout. La tension monte d’un cran. Plus tard, nous apprendrons dans la presse qu’un joueur aura perdu quelques dents sur la glace au cours du match. Une crosse est de nouveau sacrifiée et quelques palets s’échappent de la patinoire malgré la présence des filets censés les retenir. Heureusement, pas de blessés à déclarer dans le public. La fin de la troisième période s’achève ainsi. On enchaîne donc avec la période de prolongation de 5 minutes. C’est désormais la mort subite qui attend les joueurs : la première équipe à marquer remportera le game! Et finalement, ce sont les Maple Leafs qui triomphent. Un Canadien brise sa crosse de rage contre la glace. A peine l’arbitre siffle-t-il la fin du match que déjà, le stade se vide comme un ballon de baudruche qu’on viendrait de percer. Les joueurs des deux équipes ont déjà déserté les lieux, sans s’être préalablement salués (on commence à en avoir l’habitude!). L’animateur annonce le classement des meilleurs joueurs de la soirée, avec un système d’étoiles, mais apparemment, tout le monde s’en contrefiche. Dans les gradins, c’est le début des affrontements. Les services de sécurité sont obligés d’intervenir pour évacuer les supporters les plus menaçants. Au moins, eux, ils ont vu tout le match, contrairement à leurs camarades qui se sont faits expulser dès les premières minutes de jeu! Dans les couloirs, l’ambiance n’a plus rien à voir avec celle d’avant-match. Des gentilles railleries, on est passé à des insultes légèrement plus haineuses. Avec Jc, nous rasons les murs et évitons tout commentaire susceptible de fâcher un fan en rouge qui passerait par là. Et puis si jamais un supporter bleu nous embête, je sortirai un bout de mon T-shirt bleu par-dessus mon manteau pour lui montrer que nous sommes de son côté (un choix vestimentaire tout à fait aléatoire mais bien opportun)…

En sortant du Centre Bell, nous avons le sourire aux lèvres. Quelle soirée! Indéniablement, les agents de la douane auraient eu raison de nous bloquer à la frontière si nous n’avions pas vécu cette expérience typiquement canadienne, avant notre retour en France.

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